Comité pour un Courant Intersyndical
Lutte de classe et Antibureaucratique
(CILCA)

Contre-rapport d'activité en vue du 48ème Congrès de la CGT

Article publié le 25 mars 2006

Le texte au format pdf Le rapport d'activité préparé par la direction de la CGT en vue du 48ème congrès se propose de faire le bilan de l'action menée par la CGT depuis son dernier congrès en mars 2003. Comme on le sait, cette période a été marquée par des offensives extrêmement violentes de la part du patronat et des gouvernements, et par le fait que les travailleurs n'ont pas réussi à contrer ces offensives et à imposer leurs renvendications. C'est ainsi que plusieurs attaques graves contre les travailleurs sont passées sans qu'il y ait eu de réelle contestation (réforme de l'assurance maladie en 2004, adoption du Contrat Nouvelle Embauche en juin 2005), et que les mobilisations, quand elles ont eu lieu, se sont toutes soldées par des défaites (mai-juin 2003, printemps 2005, octobre 2005, etc.).

La direction de la CGT ne reconnaît absolument pas ces défaites et la gravité de leurs conséquences en termes de reculs sociaux : pour elle, « 2003 a connu une mobilisation exceptionnelle autour des questions des retraites [...], en 2004, les salariés se sont retrouvés davantage en retrait [...], et 2005 [est] riche en actions puissantes et unitaires » ! Et lorsqu'elle regrette que les luttes n'ont pas abouti, elle l'explique par le manque d'unité des organisations syndicales ou par le manque de mobilisation des travailleurs ... Or nous allons voir que ces explications ne sont guère valides et ne servent en réalité qu'à dissimuler la politique de collaboration des dirigeants de la CGT.

En effet, les défaites que les travailleurs ont subies depuis 2003 sont dues avant tout à la politique de collaboration de classes des directions syndicales, y compris de celle de la CGT. En pratique, cela se manifeste par la participation aux « négociations » éhontées avec les gouvernements, par la stratégie des journées d'actions dispersées, sans lendemain et sans perspective, dont le but est de contenir la montée vers la grève générale, seule capable de mener à la victoire. Cette politique a été appliquée de manière systématique dans toutes les mobilisations depuis 2003, mobilisations qu'il convient d'étudier en détail pour dégager les responsabilités de la direction de la CGT et pour en tirer un vrai bilan.

Le conflit des retraites en 2003

Rappelons d'abord qu'en décembre 2003, la direction de la CGT avait signé avec d'autres confédérations et avec le MEDEF un accord absolument scandaleux réduisant massivement les droits à l'indemnisation chômage, pour tous les chômeurs, surtout ceux de longues durées et les plus de cinquante ans.

Au premier semestre 2003, la France a connu une période de mobilisation d'une ampleur sans précédent depuis 1995. Et pour cause, les attaques contenues dans le projet de réforme des retraites Fillon-Raffarin étaient particulièrement graves, rappelons notamment le passage de 37,5 à 40 annuités de cotisation pour les fonctionnaires entre 2004 et 2008, et l'allongement progressif, à partir de 2008, de la durée de cotisation de 40 à 42 annuités pour tout le monde, public-privé.

Cependant, comme le regrette la direction de la CGT, « la forte mobilisation — environ 4,5 millions de personnes ont participé à une forme ou une autre d'action — n'a pas permis d'empêcher le vote du projet de réforme ». Pour préciser l'ampleur et l'intensité de cette mobilisation, on peut ajouter qu'à côté des manifestations qui ont rassemblé des millions de travailleurs lors des journées d'action, l'auto-organisation dans les assemblées générales, dans les syndicats de base a également été intense. Et un peu partout, l'exigence que les confédérations et fédérations appellent à la grève générale jusqu'à la victoire n'a pas été, cette fois, un phénomène relativement marginal comme en 1995, mais s'est fait entendre de plus en plus massivement au fur et à mesure que les jours passaient et que les occasions manquées (13 mai, 25 mai, 3 juin, 10 juin, ...) se succédaient ; et elle a culminé dans la manifestation et le gros meeting intersyndical le 12 juin, où Thibault a été copieusement sifflé par les grévistes et les syndiqués eux-mêmes.

Dès lors, des « trois obstacles principaux » énumérés dans le rapport, aucun ne peut sérieusement expliquer la défaite d'un mouvement d'une telle puissance. « La difficulté de mettre toutes nos organisations dans le coup »? On a vu qu'il y a quand même eu des millions de travailleurs manifestant dans chacune des journées d'actions appelées par la CGT et que l'auto-organisation dans les syndicats de base était intense. « La rupture brutale de l'unité de 15 mai à l'initiative de la CFDT »? Les journées d'action postérieures à cette défection ont continué à rassembler des millions de manifestants. « Des réalités et des vécus différents entre salariés du public et du privé »? D'une part, les travailleurs du privé, notamment ceux de la métallurgie et du commerce, ont été représentés en nombre très significatif dans les manifestations, beaucoup plus qu'en 1995. D'autre part et plus fondamentalement, nombre d'entre eux ont hésité à faire grève — comme des millions de leurs collègues du public — car ils ont bien compris que, sans la grève générale interprofessionnelle, donc sans l'appel des organisations syndicales à la grève générale jusqu'à la victoire, ils perdraient de l'argent et prendraient des risques sans avoir la moindre chance de gagner. Ils ont bien senti que, tout particulièrement après le 13 mai, la « stratégie » des journées d'action n'était pas une solution, mais une impasse.

Car bien évidemment, les vraies raisons de la défaite sont à chercher dans la motivation de la direction de la CGT et dans la politique qu'elle a menée en conséquence. Le rapport prétend que « la détermination de la CGT à mener la bataille [des retraites] a été totale », mais en réalité, jamais la direction confédérale ne s'est prononcé pour le retrait inconditionnel du plan Fillon. Au contraire, elle n'a eu de cesse de faire croire aux travailleurs qu'une réforme des retraites était nécessaire pour mieux « justifier » son refus d'en découdre avec le gouvernement. Par exemple, Thibault a déclaré : « si la démarche politique se modifie, si on accepte de réelles négociations,on peut aboutir à une réforme en trois ou quatre mois, y compris, je le dis clairement, avec une signature de la CGT, si cette réforme correspond à nos besoins, à nos attentes » (1). Le Duigou a également affirmé : « Nous sommes dans une logique de revendication. Nous n'avons pas un objectif politique, celui de battre le gouvernement » (2).

Dès lors, un dernier argument de la direction de la CGT apparaît clairement comme une tromperie pour justifier la « stratégie » suicidaire des journées d'action : « [...] pour la CGT, la grève générale ne se décrète pas. Elle est le résultat de la généralisation de la grève et des mobilisations tant dans le public que dans le privé. » Mais [...] qu'a-t-elle fait d'autre que de « décréter » d'en haut de vaines journées d'action à répétition alors que, en bas, des centaines et des centaines d'assemblées générales de travailleurs et de comités de grève, des centaines et des centaines de syndicats de base, exigeaient qu'elle appelle à la grève générale jusqu'à la victoire? La direction de la CGT se plaint qu' « objectivement les conditions n'ont pu être remplies et le mouvement des retraites n'a pu aboutir à la construction de ce rapport de force optimum ». Mais ce n'est surtout pas en baladant les travailleurs de journée d'action en journée d'action — il y en a eu plus d'une demi-douzaine entre le 13 mai et le 19 juin —, en leur faisant reprendre le travail après chaque journée d'action, en leur faisant croire qu'ils n'étaient pas prêts à aller jusqu'au bout pour faire capituler le gouvernement, qu'on construit un tel rapport de force, mais au contraire en contruisant et en impulsant la grève générale interprofessionnelle.

Réforme de l'assurance maladie, privatisation d'EDF et de GDF en 2004

En 2004, le gouvernement a porté un autre coup particulièrement grave contre les travailleurs : il s'agissait de la réforme Douste-Blazy qui consistait en le déremboursement massif des soins et en l'augmentation généralisée de la CSG pour combler le prétendu « trou » de la Sécurité sociale. Tout d'abord, le rapport d'activité prétend que « la CGT a porté des revendications alternatives au projet gouvernemental ». Elle l'a fait certes, mais en restant dans le cadre inacceptable défini par le gouvernement, en participant au « Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie ». Ensuite, lorsque le contenu de la réforme a été révélé, la direction syndicale a appelé symboliquement à manifester dans les grandes villes un samedi après-midi, le 5 juin, mais refusant d'engager véritablement le combat. En effet, le mot d'ordre officiel principal de ces manifestations était la réclamation de « vraies négociations » avec le gouvernement, et non le retrait pur et simple du projet Douste-Blazy — sans parler des revendications fondamentales comme l'exigence de l'arrêt et de la restitution par les patrons des exonérations de cotisations, de l'abrogation de la CSG, etc.

En ce qui concerne la privatisation d'EDF et de GDF, le rapport d'activité se plaint que « malgré une mobilisation importante des salariés, le vote d'une loi permettant l'ouverture partielle du capital de GDF et d'EDF n'a pas pu être empêchée ». Il y a donc eu une mobilisation importante : une première journée d'action le 8 avril, une deuxième le 27 mai et une troisième le 15 juin avec une forte participation (80 000 manifestants à Paris et 75 % de grévistes le 27 mai, multiplication des coupures de courant ciblées...) mais rien n'était organisé entre chaque date, et aucune perspective sérieuse n'a été proposée. Plus grave encore, les dirigeants de la CGT sont carrément montés au créneau pour combattre, avec une rhétorique empruntée aux media bourgeois, la perspective de la « la grève qui peut mettre en difficulté les usagers, des salariés susceptibles de perdre leur boulot à cause de deux jours de grève » (3). Concernant les opérations de coupure d'électricité ciblée décidées par les agents les plus déterminés, ces dirigeants syndicaux sont même allés jusqu'à menacer de ne pas défendre les agents sanctionnés : « Il faut aussi entre nous, bien évaluer toutes les conséquences de nos choix. Jusqu'à présent, je pense qu'on peut tenir sur les sanctions..., mais je vous le dis, je ne souhaite pas que demain on consacre notre temps et nos moyens ainsi que nos forces pour aller sauver des camarades... Je vais vous dire, la qualité d'un militant CGT, même si ça a pu être le cas à une époque, ça ne se mesure pas à la liste des sanctions qu'il a obtenues dans sa carrière! » (4)

De manière générale, il est vrai que ces nouvelles trahisons ont aisément abouti car la défaite de 2003 pesait encore lourdement sur conscience des travailleurs, comme le reconnaît par ailleurs le rapport d'activité : « Indéniablement le conflit de 2003 sur les retraites a laissé des traces, obérant la capacité de rassemblement des salariés et de leurs organisations syndicales ». La léthargie de la lutte de classe en 2004, et conséquemment, le fait que le gouvernement — bien que battu aux élections régionales et européennes —, a largement eu les mains libres pour poursuivre sa politique de destruction des acquis sociaux, démontrent encore une fois la gravité de la défaite de 2003.

Mobilisations pour les salaires, l'emploi, les droits des salariés en 2005

La fin de l'année 2004 et le début de l'année 2005 étaient encore une fois lourdes en attaques gouvernementales : remise en cause du droit de grève à la SNCF, privatisation de la Poste, loi de « cohésion sociale », stagnation du salaire des fonctionnaires, etc. Face à cela, la direction de la CGT s'est d'une part engagé dans les « négociations » et a cautionné certaines de ces « réformes » : elle a notamment signé en octobre 2004 l'accord ignominieux « pour la prévention des conflits », qui empêche les cheminots de riposter immédiatement à une attaque patronale et les enchaîne dans la « culture » collaboratrice de la concertation. D'autre part, et de manière indissociable, elle a appelé à des journées d'action soigneusement atomisées du 17 au 21 janvier, puis du 5 février et ... du 10 mars ! Malgré l'absence de réelles revendications et de perspective, les travailleurs se sont quand même mobilisés en grand nombre, démontrant ainsi qu'ils étaient de nouveau prêts au combat. Mais encore une fois, aucune suite n'était donnée à ces journées, et elles ont finalement débouché sur rien. Et à la direction de la CGT de regretter que « les réponses du MEDEF et du Gouvernement ne correspondent ni aux exigences ni aux besoins des salariés » et de rejeter la faute sur les autres confédérations.

Remarquons que le rapport passe complètement sous silence le puissant mouvement des lycéens contre la réforme Fillon au printemps 2005. Et pour cause, la direction de la CGT ne s'est à aucun moment engagé dans un soutien effectif de ce mouvement, qui, isolé, a finalement subi une défaite.

La tendance à la reprise des luttes se confirmait à la rentrée 2005, avec une mobilisation très importante pour la journée d'action du 4 octobre : 1,2 million de manifestants, avec des taux de grévistes comparables à ceux du 10 mars et le soutien de 74 % de la population selon les sondages. Parallèlement et corrélativement, une multitude de grèves se sont poursuivies courageusement après le 4 octobre, dont la plus remarquable était celle de la SNCM, sur laquelle il faut revenir plus en détail, étant donné son retentissement national et la responsabilité majeure de la direction de la CGT dans sa défaite.

En effet, la direction de la CGT-SNCM et de la confédération nationale ont refusé d’exiger ne serait-ce que la préservation de la SNCM comme entreprise nationale de service public. Au lieu de cela, Jean-Paul Israël, dirigeant de la CGT-SNCM (syndicat majoritaire), a accepté de « négocier » une privatisation partielle. Thibault, de son côté, s'est précipité pour aller « négocier » avec Villepin qui venait pourtant d’envoyer l'armée et la police contre les grévistes. Deplus, les dirigeants confédéraux ont toujours pris le soin d'isoler cette lutte exemplaire, en empêchant son extension aux travailleurs du port de Marseille, à ceux de la RTM, à ceux d'autres ports du pays. Ainsi, au lendemain de la visite de Jean-Paul Israël à Montreuil pour demander « une extension du conflit et en particulier dans les services publics », la réponse de Thibaul a consisté à d'écrire une lettre à de Villepin pour affirmer que « les syndicats de l’entreprise dont les organisations de la CGT n’ont pas bloqué la négociation. Ils ont accepté la perspective d’une présence de capitaux privés et l’hypothèse d’un plan social sous couvert d’en négocier précisément les dispositions. ». Enfin, les dirigeants de la CGT-SNCM ont repris à leur compte le chantage juridique du gouvernement, poussant l'ignominie jusqu’à faire voter les salariés, à bulletin secret, même pas simplement pour ou contre la poursuite de la grève, mais « Non à la reprise de l'activité = dépôt de bilan » ou « Oui à la reprise de l'activité pour éviter le dépôt de bilan »!

Au niveau national, la grève des travailleurs de la SNCM a fortement contribué à faire de la « journée d’action » syndicale du 4 octobre un succès. Réciproquement, le succès du 4 octobre a accru leur détermination, car ils espéraient bien qu’elle soit le premier pas d’une généralisation de leur propre lutte. Et ainsi, inséparablement de leur trahison de la grève de la SNCM, les dirigeants de la CGT n'ont pas donné la moindre « suite » à la journée du 4 octobre, contrairement à ce qu'ils avaient timidement promis avant cette journée sous la pression des militants les plus conscients.

Pour un vrai bilan de la direction de la CGT entre 2003 et 2006 : trois années de collaboration

Après ce bref passage en revue de l'action menée par la CGT depuis son dernier congrès, le bilan à tirer est très clair. Depuis trois ans, les luttes des travailleurs vont de défaite en défaite, sans pouvoir empêcher la destruction des acquis sociaux, les privatisations, ... Les directions syndicales, et particulièrement — comme nous l'avons constaté —, celle de la CGT, ont une responsabilité écrasante dans ces défaites par leur politique de collaboration.

Ainsi, au lieu de préparer et d'impulser la grève générale interprofessionnelle, seul moyen pour faire reculer le patronat et vaincre les gouvernements, les dirigeants de la CGT ont systématiquement appelé à des journées d'actions dispersées, sans lendemain et sans perspective. Cette stratégie des journées d'action représente un double intérêt pour les directions syndicales, comme le résume le journaliste du Figaro Michel Noblecourt à propos d'une énième journée d'action : « Cette "journée-soupape" rendra visible et canalisera le mécontentement. » (5). En effet, d'une part, cette stratégie sert d'exutoire à la colère des travailleurs, et dans un contexte de montée vers la grève générale, elle démoralise et démobilise les travailleurs en les sortant un jour et en leur faisant reprendre le travail le lendemain. D'autre part, vis-à-vis des travailleurs, les journées d'action leur rappellent — à bon compte — que la confédération sert encore à quelque chose, et vis-à-vis des gouvernements, elles ont pour but de faire admettre les dirigeants syndicaux à la table des négociations.

Notes

  1. France Soir, 20 mai 2003
  2. Le Monde, 5 juin 2003.
  3. Intervention de Bernard Thibault à la réunion de secrétaires de syndicats du 25 Juin 2004, citée sur la page http://assoc.wanadoo.fr/continuer.la.cgt/edfgdfjuin04.htm
  4. Idem
  5. Le Monde, 1er octobre 2005.